S’il publie en juin un recueil de poèmes, Allégories, Cocteau se consacre surtout au théâtre. En février, il dessine les décors et les costumes de La main passe de Feydeau. Le 29 avril, la première de La Machine à écrire au théâtre Hébertot suscite de violentes attaques dans les milieux de la collaboration : Rebatet et Laubreaux se déchaînent dans Je suis partout. Jean Marais administre une correction à Laubreaux un soir de juin. La pièce est interdite. En juillet paraît l’album de Dessins en marge des « Chevaliers de la Table ronde ». En août, dix-sept jours suffisent à Cocteau pour écrire Renaud et Armide. En octobre, la reprise des Parents terribles au théâtre du Gymnase est suivie de l’interdiction de la pièce. Le 7 décembre, à nouveau autorisée, elle est chaleureusement applaudie. A la fin de l’année, Cocteau engage comme secrétaire Paul Morihien.
Le 19 janvier, Renaud et Armide est accepté par la Comédie-Française, mais refusé par le ministre de tutelle Carcopino. Durant toute l’année, il rencontre fréquemment Picasso, Eluard et Lise Deharme. Il voit Ernst Jünger, alors en poste à Paris. Commence alors, pour le poète, une période de travail intensif pour le cinéma : adaptation et dialogues de La Comédie du bonheur pour Marcel Lherbier et dialogues du Lit à Colonnes pour Roland Tual, mécontent de ceux qu’avait écrits Spaak. Au début de mars, Cocteau commence à rédiger un Journal. Ami de longue date du sculpteur allemand Arno Breker, il assiste le 15 mai à l’inauguration de son exposition à l’Orangerie et, le 23, publie dans Comoedia un « Salut à Breker » qui lui sera beaucoup reproché. Pour le cinéma, il achève le scénario de L’Eternel retour et récrit celui du Baron fantôme pour Serge de Poligny.
Mme Cocteau meurt le 20 janvier. Le 27 janvier, Antigone triomphe à l’Opéra. Le surlendemain a lieu un récital de poésie avec Serge Lifar au théâtre Edouard VII. Le 6 février, Cocteau s’enthousiasme à la lecture du Condamné à mort de Genet, qu’il rencontre le 15 du même mois. Le 14 avril a lieu la première de Renaud et Armide à la Comédie-Française avec Marie Bell, Mary Marquet, Maurice Escande et Jacques Dacquemine. La pièce connaît un grand succès, mais la presse collaborationniste, qui ne désarme pas, s’acharne contre l’auteur. Le 20 avril, Cocteau part pour Nice où se tourne L’Eternel retour. Quelques jours après son arrivée, il est atteint d’une pneumonie, rapidement enrayée. En août, il joue le personnage de Musset dans le film de Sacha Guitry La Malibran. Il travaille à son étude sur le Greco, qui paraîtra à la fin de l’année et à la pièce qui deviendra L’Aigle à deux têtes. Le 27, il est agressé au bas des Champs-Elysées par des membres du service d’ordre qui encadre un défilé de la Légion des volontaires français engagée sur le front russe aux côtés des Allemands. En octobre, L’Eternel retour est projeté dans trois salles. Jean Marais triomphe. Cocteau part en compagnie de ce dernier et de Paul Morihien pour Tal Moor, près de Pont-Aven, où ils sont les hôtes des Masson-Détourbet. Il y termine L’Aigle à deux têtes.
Il achève Léone, le poème auquel il travaille depuis 1941. Le projet de La Belle et la Bête prend forme. La mort de Giraudoux, le 31 janvier, et surtout celle de Max Jacob à Drancy, le 5 mars, l’émeuvent profondément. Cocteau avait en effet déployé tous ses efforts pour obtenir la libération de son ami. Le 12 avril, il refuse de succéder à Vaudoyer comme administrateur de la Comédie-Française. Le 10 juin, quatre jours après le débarquement allié en Normandie, il assiste à la Loggia, quai Voltaire, à une conférence de Sartre suivie d’un débat : Le Style dramatique. Au début de juillet, la sœur de Desbordes demande à Cocteau d’intervenir pour sauver son frère résistant emprisonné. Ce qu’il fait, mais en vain : Jean Desbordes est exécuté le 5. Après la libération de Paris le 25 août, Jean Marais s’engage dans la division Leclerc et part le 7 septembre. Dès la fin d’août, l’attitude de Cocteau pendant l’Occupation soulève des critiques. Le 23 novembre, il comparaît devant le Comité d’épuration du cinéma, où il est acquitté en quelques minutes. Il en ira de même devant le Comité des écrivains.
En janvier ont lieu des lectures de Léone par Cocteau lui-même, de Plain-chant par Maria Casarès, de L’Ange Heurtebise par Marcel Herrand. En avril, le poète écrit la dernière page du Journal qu’il avait ouvert en mars 1942. Il commence avec Georges Hugnet à écrire des poèmes sur des nappes du restaurant Le Catalan. Il écrit pour Bresson les dialogues des Dames du bois de Boulogne. Du 26 août au 13 septembre a lieu le tournage de La Belle et la Bête à Rochecorbon, près de Tours. La fin du tournage se fait en studio et au château de Raray, près de Senlis. Souffrant d’urticaire et de phlegmons depuis le début d’octobre, il doit être hospitalisé à l’hôpital Pasteur. Il y écrit La Crucifixion. Il sort le 1er novembre et reprend le tournage le 6. Bien que souffrant encore d’abcès, il y travaille jusqu’à la fin de l’année. Il tient le journal de ce tournage, qui paraîtra en janvier 1947 (La Belle et la Bête. Journal d’un film).
Le tournage est terminé le 11 janvier. Cocteau se met au montage. Le 8 février, Les Parents terribles sont repris au théâtre du Gymnase. A la mi-février, Darbon emmène le poète à Morzine alors que l’on craint pour lui la jaunisse. Il y commence La Difficulté d’être. Le 25 juin est créé, au théâtre des Champs Elysées, son ballet Le Jeune Homme et la Mort, dansé par Jean Babilée. Du 25 juillet au 24 août, Cocteau est en cure à La Rocheposay, dans le Poitou. Les Vilmorin et Jean Marais lui rendent visite. Le poète y écrit « Un ami dort » et travaille au scénario de Ruy Blas. En octobre, La Cruxifixion est publiée et L’Aigle à deux têtes est créé à Bruxelles. La Belle et la Bête sort à Paris, aux cinémas Colisée et Madeleine. Le film, qui n’a pas été distingué au festival de Cannes en septembre, obtiendra en décembre le prix Louis-Delluc. Toujours en décembre, le premier volume des Œuvres complètes de Cocteau est publié aux éditions Marguerat ; le onzième et dernier paraîtra en mars 1951. Le 22 décembre, L’Aigle à deux têtes est joué au théâtre Hébertot avec, pour acteurs, Edwige Feuillère et Jean Marais.
En janvier, Cocteau achète avec Jean Marais une Maison à Milly-la-Forêt ; ils y emménagent en novembre. S’il écrit L’Impromptu du Palais-Royal en avril et dessine la série des Licornes en juillet, l’activité du poète, en cette année 1947, est surtout cinématographique : au printemps, il suit le tournage de La Voix humaine par Rossellini, avec pour interprète Anna Magnani, et celui de Ruy Blas ; en octobre celui de L’Aigle à deux têtes et, à la fin de l’année, il écrit le scénario d’Orphée. Il publie La Difficulté d’être. En juillet, un jeune peintre venu de Lorraine, Edouard Dermit lui est présenté à la librairie de Paul Morihien. Il l’embauche comme aide-jardinier à Milly et fait bientôt de lui son chauffeur.
Le cinéma, pour Cocteau, est toujours au premier plan. Ruy Blas sort en février, L’Aigle à deux têtes en septembre ; en mai et en juin a lieu le tournage des Parents terribles, qui sortiront en novembre. Il se met à la tapisserie avec le carton de Judith et Holopherne en septembre. Poésie 1946-1947 est publié, ainsi qu’un conte pour enfants, Drôle de ménage. A la fin de décembre, il part pour New York, où il va présenter L’Aigle à deux têtes, comme il l’a déjà fait à Londres en juin.
Il commence la Lettre aux Américains, qui paraîtra dans l’année. Du 6 mars au 24 mai à lieu une tournée théâtrale en Egypte, au Liban et en Turquie avec Les Parents terribles, La Machine infernale, Les Monstres sacrés. Jean Marais, Edouard Dermit, Yvonne de Bray et Gabrielle Dorziat font partie de la troupe. Le Journal de cette tournée paraîtra en décembre sous le titre Maalesh. En mai sort en librairie son Théâtre de poche. En été, Cocteau adapte la pièce de Tennessee Williams Un Tramway nommé désir et organise le Festival du film maudit à Biarritz. D’août à novembre a lieu le tournage d’Orphée, que Cocteau termine avec une crise de sciatique. En décembre débute le tournage des Enfants terribles par Melville. Par l’intermédiaire de Nicole Stéphane, le poète fait la connaissance de Francine Weisweiller, qui a alors trente-trois ans. Il naît une amitié immédiate et durable. Cette année est marquée par une première reconnaissance officielle : le 3 septembre, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.
Le 1er mars, Orphée est présenté à la Semaine du cinéma de Cannes, obtient en septembre à Venise le prix international de la critique, et sort à la fin du mois à Paris. En Allemagne, la présentation du film par Cocteau est un triomphe. En mai, il séjourne pour la première fois à Saint-Jean-Cap-Ferrat dans la villa des Weisweiller, Santo Sospir, qui deviendra sa troisième demeure. Il y entreprend la décoration des murs. Le 14 juin est créé à l’Opéra le ballet Phèdre, sur une musique d’Auric, avec une chorégraphie de Lifar, dont Cocteau a fait le livret, le décor et les costumes. En juillet ont lieu les premières démarches de Cocteau pour l’adoption d’Edouard Dermit ; ce projet d’adoption n’aboutira pas avant sa mort. En été, le poète effectue un voyage en Italie avec Francine Weisweiller et Edouard Dermit, et ils s’arrêtent au Festival de Venise. A la fin de l’année, il commence à peindre sur chevalet. Il devient un personnage vedette et, jusqu’à sa mort, il sera de plus en plus sollicité pour présider des manifestations, écrire des préfaces, illustrer des programmes, faire des affiches…